Journées de lecture...

Publié le par bigoudene46

Pluie dehors... plusieurs alternatives s'offrent à vous : Vous enfilez un bon ciré, vos bottes tout terrain, prenez votre amoureux ou votre amoureuse par la main et allez affronter les éléments sur un chemin côtier... avant de rentrer les joues rosies ... et... vous réchauffer comme bon vous semble... Mais peut-être n'avez-vous ni un ou une amoureuse, ni la mer à portée de main... Alors, deuxième alternative... Vous faites infuser  votre thé préféré, cassez quelques carrés d'un bon chocolat à au moins 90% de cacao... mettez un Stabat Mater de Pergolèse  ou des cantates de Bach ou encore Anouar Brahem dans votre lecteur CD et vous vous blottissez sous un plaid avec votre bouquin préféré... A moins que vous n'ayez envie de découvrir, redécouvrir, déguster un peu de Proust... Ces "journées de lecture" est un texte antérieur à la recherche, extrait de Pastiches et mélanges... 80 pages pour vous plonger dans la magie de l'écriture proustienne.

Marcel Proust - "Journées de lecture"

Marcel Proust - "Journées de lecture"

Comment vous expliquer ce qui se passe en moi lorsque je lis Proust ? J'ai la sensation de plonger dans un univers très lointain... ou  si proche, peut-être blotti au fond de moi... qui sait... Tant son écriture m'est comme familière. Ses digressions incessantes mais qui retombent toujours sur leurs pattes, cette infinité de pronoms relatifs qui me rappellent toujours à quel point les professeurs en avaient horreur lorsqu'on s'avisait, pourtant sans jamais avoir lu Proust, d'en glisser un peu trop dans les dissertations scolaires ! "Votre style est trop lourd, allégez, écrivez des phrases plus courtes..." la mémoire garde de drôles de traces...

Chez lui , je retrouve toujours des évidences en me disant "mais c'est si clair, si limpide"... Par exemple, lorsqu'un livre nous provoque de multiples émotions et se retrouve ensuite tel un simple objet sur un rayonnage de bibliothèque... vous y pensez parfois de ce rapport entre l'objet et les émotions qu'il peut susciter ? 

« Puis la dernière page était lue, le livre était fini. Il fallait arrêter la course éperdue des yeux et de la voix qui suivait sans bruit, s'arrêtant seulement pour reprendre haleine, dans un soupir profond. Alors, afin de donner aux tumultes depuis trop longtemps déchaînés en moi pour pouvoir se calmer ainsi d'autres mouvements à diriger, je me levais, je me mettais à marcher le long de mon lit, les yeux encore fixés à quelque point qu'on aurait vainement cherché dans la chambre ou dehors, car il n'était situé qu'à une distance d'âme, une de ces distances qui ne se mesurent pas par mètres et par lieues, comme les autres, et qu'il est d'ailleurs impossible de confondre avec elles quand on regarde les yeux « lointains » de ceux qui pensent « à autre chose ». Alors, quoi ? Ce livre, ce n'était que cela ? Ces êtres à qui on avait donné plus de son attention et de sa tendresse qu'aux gens de la vie, n'osant pas toujours avouer à quel point on les aimait, et même quand on parents nous trouvaient en train de lire et avaient l'air de sourire de notre émotion, fermant le livre avec une indifférence affectée ou un ennui feint ; ces gens pour qui on avait haleté et sangloté, on ne les verrait plus jamais, on ne saurait plus rien d'eux. Déjà, depuis quelques pages, l'auteur, dans le cruel « Épilogue », avait eu soin de les « espacer » avec une indifférence incroyable pour qui savait l'intérêt avec lequel il les avait suivis jusque-là pas à pas. L'emploi de chaque heure de leur vie nous avait été narré. Puis subitement : « Vingt ans après ces événements on pouvait rencontrer dans les rues de Fougères un vieillard encore droit, et... » Et le mariage dont deux volumes avaient été employés à nous faire entrevoir la possibilité délicieuse, nous effrayant puis nous réjouissant de chaque obstacle dressé puis aplani, c'est par une phrase incidente d'un personnage secondaire que nous apprenions qu'il avait été célébré, nous ne savions pas au juste quand, dans cet étonnant épilogue écrit, semblait-il, du haut du ciel, par une personne indifférente à nos passions d'un jour, qui s'était substituée à l'auteur. On aurait tant voulu que le livre continuât, et, si c'était impossible, avoir d'autres renseignements sur tous ces personnages, apprendre maintenant quelque chose de leur vie, employer la nôtre à des choses qui ne fussent pas tout à fait étrangères à l'amour qu'ils nous avaient inspiré et dont l'objet nous faisait tout à coup défaut, ne pas avoir aimé en vain, pour une heure, des êtres qui demain ne seraient plus qu'un nom sur une page oubliée, dans un livre sans rapport avec la vie et sur la valeur duquel nous nous étions bien mépris puisque son lot ici-bas, nous le comprenions maintenant et nos parents nous l'apprenaient au besoin d'une phrase dédaigneuse, n'était nullement, comme nous l'avions cru, de contenir l'univers et la destinée, mais d'occuper une place fort étroite dans la bibliothèque du notaire entre les fastes sans prestige du journal de modes illustré et de la Géographie d’Eure-et-Loir.» p 30

 

Ou bien pourquoi en refermant un livre qui vous a interpellé avez-vous tant envie d'en ouvrir un autre du même auteur ? 

(…) Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier. J'en aimais par dessus-tout deux ou trois phrases qui m'apparaissaient comme les plus originales et les plus belles de l'ouvrage. Je n'imaginais pas qu'un autre auteur en eût jamais écrit de comparables. Mais j'avais le sentiment que leur beauté correspondait à une réalité dont Théophile Gautier ne nous laissait entrevoir une ou deux fois par volume qu'un petit coin. Et comme je pensais qu'il la connaissait assurément tout entière, j'aurais voulu lire d'autres livre de lui où toutes les phrases seraient aussi belles que celles-là et auraient pour objet les choses sur lesquelles j'aurais désiré avoir son avis. » p 41

J'aurais pu aussi vous dire qu'il suffisait de prendre un carnet et laisser votre crayon et votre esprit vagabonder sans chercher à les retenir... Vous allez voir que finalement, vous aurez envie d'un nouveau jour de pluie...

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